Enfants, nous étions écologistes sans le savoir, à la récré comme une volée de moineaux les garçons se rendaient derrière, sur une pelouse entre l’église et le mur du jardin de l’instituteur, et venaient arroser le dit mur.
 Il eut été blasphématoire de mouiller le mur de l’église, et très vite nous revenions dans la cour de récréation.
 Les lieux libérés par la gent masculine, les filles deux par deux se rendaient au cabinet à la turque qui se trouvait au bout du mur, il était jouxté par deux petites cours de deux mètres de large qui dans l’ancien temps logeaient quelques poules, et le porc qu’élevait le corps enseignant.
Il était amusant pendant les cours, quand une fille était prise d’un besoin naturel et pressant de voir celle-ci lever le doigt et demander à la maîtresse : "Puis-je aller au cabinet Madame"  réponse tout de suite immédiate et positive.
 Aussitôt un autre doigt se levait, d’une autre fille du même âge : "Pardon Madame, puis-je lui tenir la porte ? "
 Là aussi réponse positive et immédiate. La deuxième candidate se postait devant le cabinet, dos à la porte jusqu’à la sortie de l’utilisatrice.
Un jour d’octobre, j’étais l’un des trois grands de la classe, et nous décidâmes d’arriver en avance entre midi et treize heures trente pour fumer. On se retrouverait derrière l’église.
J’avais amené une poignée de poils de maïs, cette espèce de moustache qui pend hors des patouilles au bout de l’épi. Une partie de feuille arrachée d’un cahier ferait office de Job la marque de papier adéquat.
Il ne fallait pas oublier les allumettes. La phobie des incendies était telle dans les fermes, que les allumettes étaient interdites aux enfants.
Les quelques chemineaux qui passaient parfois le soir demandant à être hébergés sur de la paille dans la grange pour la nuit, remettaient sans qu’on ne leur demande leur blague à tabac et leurs allumettes à leur hôte.
Le chemineau qui ne fumait pas avait lui aussi une blague et une boîte d’allumettes dans son maigre barda qu’il remettait, c’était son passeport pour la nuit.
L’interdiction des allumettes pour les enfants était interprétée par eux différemment.
Interdiction de se faire prendre.
Avec cette interprétation nous avions tous les éléments pour cette première ‘’ fume ‘’.
La confection de la cigarette fût pour chacun assez laborieuse. On découvrit que la taille de la feuille influait sur la facilité du roulage. 
Ensemble nous effectuâmes nos premières ‘’ pipées ‘’, je me souviens que ce n’était pas particulièrement agréable.
Sur ces entrefaites retentît le pouêt-pouêt du cornet à poire en caoutchouc de la boulangère de Lescar qui faisait sa tournée de pain.
La Bonne du curé qui était bien moins délurée qu’Annie Cordy, sortit du presbytère qui était le logement de fonction du Curé, avec son jardin dont le mur avec un portillon fermait la cour de l’école.
"La Curère", c’était le nom dont elle avait hérité en venant à Siros et qui avait un brin de parfum péjoratif, et tout le monde lui servait du Mademoiselle Anna.
Elle avait les cheveux tout blancs liés en chignon, et elle était affectée d’un tic qui lui faisait tourner la tête de droite à gauche avec une large  amplitude, deux ou trois fois de suite, pause de deux secondes, nouveau balancement, nouvelle pause.
Sa frimousse ratatinée jamais en repos.
Son pain sous le bras, elle nous vit tous les trois la cigarette au bec.
Croisant l’institutrice qui elle aussi allait au pain, elle lui signala que trois de ses garnements fumaient derrière l’église.

La réaction fut immédiate, demi miche de pain à la main Madame vînt constater le délit, et écrasa du pied les trois mégots, et nous écrasa à nous de mots peu flatteurs scandés par le balancement de sa demi-miche. Fin du premier acte.

Deuxième acte : À la rentrée en classe elle nous dit aux trois, de prendre notre livre de lecture et nous désigna une page à apprendre par cœur et la lui réciter pour le lendemain.
J’avais remarqué cette page depuis très longtemps, elle était dans le premier quart du bouquin sur la gauche, elle était d’un seul paragraphe sans un seul interligne, dans le titre on parlait de lilas.
Je n’avais jamais trouvé le courage de la lire tellement le texte était touffu.

De retour à la maison, je me mis en demeure de lire et de relire ce texte si bien qu’à l’heure du souper je le récitai à ma mère et le confirmait après le petit déjeuner du lendemain. J’étais fin prêt.
À l’école la première invitation fût de passer au tableau pour réciter.
On ne parlait que de lilas, je me souviens d’une bribe où l’auteur parlait de ‘’ lilas fleuris fleurant le miel ‘’, ma récitation débitée d’une seule traite, je me retrouvai blanchi, sans trace sur le casier judiciaire.
En revanche chaque fois que je vois un lilas fleuri me monte à la tête l’âcre goût du poil de maïs grillé.
J’ai le souvenir d’une autre cigarette mémorable.
C’était pendant les grandes vacances, et je devais garder les vaches au pré le matin et le soir, une paire d’heures chaque fois.  
Nos vaches étaient relativement honnêtes et sages, ne cherchant pas à s’ébattre dans le champ du voisin.
Cette relative tranquillité me permettait de rejoindre mon vieux voisin Jeantot, qui mourut presque centenaire quelques années plus tard.

C’était pendant les années de guerre, le tabac était distribué parcimonieusement avec des tickets d’alimentation.
Les gros fumeurs contournaient la difficulté en cultivant dans leur jardin quelques pieds de tabac, ce qui était formellement interdit, et la chasse aux délinquants était aussi impitoyable que celle d’aujourd’hui contre les planteurs de cannabis.

Jeannot avait donc dans son jardin la matière première aux larges feuilles qu’il faisait sécher au soleil au fur et à mesure de ses besoins.
Il brisait entre ses doigts la feuille asséchée, la réduisait en poudre et la stockait dans la poche de son pantalon.
Un matin Jeannot se fit une cigarette et après lui avoir donné un coup de langue pour la coller me la proposa.
On ne refuse pas pareille aubaine !
Je la pris, attendis qu’il finisse de rouler la sienne, et il alluma les deux avec son briquet à mèche d’amadou.
C’était un cordon qui ressemblait à une grosse ficelle de tissu de couleur orange striée de noir, qui charbonnait sans faire de flamme et dégageait une odeur pas agréable du tout.
J’aspirai sur la cigarette sans avaler la fumée et en la rejetant aussitôt, je mis un point d’honneur, avec beaucoup d’efforts à la raccourcir, lui laissant tout de même un long mégot avant de la jeter.
J’eus vite mal à la tête, je rentrai à la maison avec le troupeau un peu prématurément sûrement, dès l’arrivée je fus pris de vomissements, ma mère m’expédia au lit sans me demander des explications.

Le remède était suffisant et efficace car à midi j’étais rétabli, et en parfaite santé me jurant de ne plus toucher une cigarette.
Serment tenu et chaque fois que j’en ai l’occasion dans les repas de famille, j’offre toute les fois où je le peux à un grand enfant pré-ado une cigarette au grand dam de sa mère, espérant qu’elle remplisse son rôle, comme l’avait si bien tenu celle de Jeannot.
Ceci n’est pas une histoire de cigarette mais de cigare. Mon plus grand cousin était en sixième au collège de Bétharram il était revenu chez lui à l’occasion de la fête locale pour la saint Vincent.
Il avait ramené du collège un cigare, au cours de l’après-midi il partit au centre du village faire le beau, cigare allumé en bouche.
Il croisa par hasard son ancien instituteur qu’il venait de quitter.
Il bomba le torse et le salua.
Celui-ci lui dit :  "On dirait un cochon qui bouffe une betterave ! " 
Ce compliment flatteur fit qu’adulte je ne le revis jamais fumer.

J’ai quand même retiré un avantage des cigarettes. Nous étions abonnés à un journal familio-agricole, le Foyer Rural, et un jour je vis un article qui proposait un voyage en Russie avec des membres de la rédaction.
C’était en 1972 l’année des jeux olympiques à Munich en Allemagne.
Depuis la fin de la deuxième guerre régnait un climat malsain entretenu par l’agressivité dont faisait montre l’URSS.

J’étais persuadé à l’époque, que s’il y avait eu mobilisation générale face à une invasion russe des centaines de milliers d’hommes déserteraient, et en mobylette traverseraient la France et l’Espagne pour se planquer en Afrique.
La menace pèse moins actuellement, mais s’il y avait mobilisation générale, les déserteurs seraient encore plus nombreux, prendraient le même chemin non en mobylette mais en voiture.
Moi je n’aurai pas déserté sachant que les russes seraient à Hendaye, à la vitesse de leurs blindés, et nous serions condamnés à vivre sous un autre régime.
Je me posai une question depuis longtemps : peut-on vivre sous un régime communiste ?
L’occasion m’était donnée d’y répondre si j’allais faire un séjour en Russie.
La proposition de Foyer Rural était alléchante mais le prix n’était pas donné.
Pour me convaincre d’accepter je fis un raisonnement économique : je ne fumais pas, j’économisais depuis plus de vingt ans deux paquets de cigarettes par jour, la dose d’un bon fumeur.
Cela représentait un bon pactole mais il est bien évident que ces économies je ne les avais pas confisquées dans une cagnotte.
Tout compte fait ce voyage représentait deux ans de consommation de cigarettes, et je m’inscrivis.
Je regagnai la Russie alors que se déroulaient les Jeux Olympiques à Munich en septembre.
Au cours de ces Jeux eut lieu un attentat, des athlètes Israéliens furent pris en otages et assassinés par des membres de l’Organisation Palestinienne,  Septembre Noir.
Cette nouvelle n’eut guère d’écho à la TV russe par contre à longueur de programme l’haltérophilie était présente pour montrer les performances des leurs, et les échecs répétitifs des américains.
Nous étions reçus par les Mouvements des Jeunes Communistes les Komsomols, et nous visitions sous bonne surveillance diverses curiosités prouvant l’efficacité du régime.
 Les gens vivaient, dire qu’ils étaient rieurs serait mentir, je fus impressionné sur les rues de voir une profusion de pictogrammes représentant une bouteille barrée d’un grand X rouge.
 Dans les ateliers ou usines visités, presque à chaque poste de travail un autre pictogramme représentant une silhouette d’homme titubant avec le même X.
 Sur les trottoirs en ville on croisait nombre d’individus manifestement ivres.
 À une question directe, il fut répondu que la race russe était portée sur l’alcool et que cela était préjudiciable à la productivité.

 J’en tirai la conclusion : on peut vivre sous ce régime, mais si on était vraiment heureux on se soûlerait moins.

 Il est de coutume quand on revient d’un voyage de ramener un cadeau ou une babiole à ceux qui sont restés.
 Hélas en Russie il y avait des queues très importantes sur les trottoirs devant les magasins alimentaires. 
 Je n’ai trouvé rien à acheter si ce n’est une broche à cheveux, une bande de cuir sommairement décorée avec une cheville de bois qui la traversait.
 Il n’y avait qu’un modèle, je le pris.
 Par hasard en passant devant un magasin je vis une pyramide de paquets de tabac, le même que le gros gris qu’on trouve chez nous.
 Je pensai à mon voisin Charles, grand fumeur s’il en est, j’entrai, pris un paquet, les inscriptions qu’il portait était rédigées en alphabet bizarre. 
 Je m’arrêtai sur la seule chose que je sus lire un quarante en chiffre, c’était le même poids en grammes que le paquet français.
 Sitôt sorti sur le trottoir je regrettai de n’avoir pris qu’un seul paquet maudissant ma radinerie.
De retour à Siros, le lendemain matin je portai mon cadeau à mon voisin qui était encore occupé à la traite.
 Il me fit poser le paquet à côté de son bidon de lait et je m’excusai de la modicité de la chose et repartis chez moi.
 Très vite Charles vînt frapper à la porte avec un sourire vraiment rayonnant, il me dit :
 "Regarde ce que tu m’as apporté " 
 Il avait ouvert le paquet, hélas il ne contenait que du thé.
Je fus tout heureux d’avoir limité mon achat cadeau à un seul paquet. 


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